La grande bleue
5 juillet 1967
Olivier n’est plus là pour le raconter avec sa faconde irrésistible, nous en avons beaucoup ri avec lui et son épouse avant qu’il nous quitte, puis avec son fils. Je vais essayer de le remplacer pour narrer comment on s’est bien éclatés, juste comme ça, pour le plaisir de la créativité.
C’était en 1967, dix-huit ans tous les deux, un samedi matin, Olivier me lance : « et si on fabriquait une cloche à plongeur ».
Ni une, ni deux, on réfléchit un peu et on file à deux sur sa moto au marché du Prado pour acheter une poubelle carrée en plastique, un brise-jet flexible de robinet de cuisine et un long tuyau plastique fin et transparent, on trouvera le reste dans la cave et le garage de ses parents.
Rentrés chez Olivier où un troisième nous avait rejoint,
Premier test à Marseille
Dans la foulée, nous voilà au bord de la piscine pour tester l’engin.
Olivier, adepte comme moi de pêche sous-marine, se propose en plongeur d’essai. C’est l’été, en maillot de bain, il s’équipe de la ceinture de plomb et des chaussures, descend par le petit bain, la cloche sur la tête. Le troisième larron pompe vigoureusement dès que la cloche se retrouve en partie immergée. Je surveille du bord notre Olivier qui descend résolument et calmement en marchant sur le fond, tandis que les bulles s’échappent régulièrement sous les bords de la cloche.
Tout va bien, très bien même.
Olivier fini par s’accroupir au fond, puis carrément s’allonger, la tête suffisamment relevée pour maintenir son nez dans la poche d’air constamment renouvelée.
Je suis juste au-dessus de lui sur le bord. Quelques dizaines de secondes se passent, puis peut-être une minute ou deux où il ne bouge plus du tout. Nous pompons toujours vigoureusement et les bulles remontent comme il se doit.
Dehors, nous nous consultons, inquiets…Quelque chose qui cloche, si j’ose dire.
Je finis par plonger, je lui arrache la cloche pour le sauver.
Olivier réagit vigoureusement ne comprenant pas ce qui lui arrive, alors qu’il prenait un pied géant de jouissance inoubliable au fond de sa piscine.
La surprise lui vaut une tasse mémorable.
Nous nous retrouvons en surface, heureux et fiers de l’expérience : ça a marché ! Nous testons à notre tour, tout baigne.
Second test à Porquerolles
Nous voilà quelques temps plus tard avec notre matos, embarqués sur le voilier Cap Nord des parents de nos grands amis, faisant route de Marseille à Porquerolles.
Mouillage plage Notre-Dame où le beau temps a attiré une dizaine de voiliers.
Chacun de nous, à tour de rôle, s’équipe en ceinture de plomb et chaussures en daim avant de se mettre à l’eau, la cloche sur la tête. Le tuyau de pressurisation est suffisamment long pour aller très loin du bateau, le pompeur est à l’œuvre sur le pont.
Il y a 3 à 5 mètres de fond là où nous allons, pas question de chercher plus profond. La jouissance est totale à marcher, sans effort pour respirer, au fond de l’eau au milieu des algues et des poissons.
Le spectacle est aussi beaucoup en surface quand les bateaux voisins découvrent, sous les bulles se déplaçant en surface autour d’eux, quelqu’un suivi d’un long tuyau transparent et marchant au fond de l’eau. Ils comprennent mal la scène et ce que fait le pompeur, plus loin sur le voilier.
Le succès est total, la technologie a gagné.
Je n’ai pas souvenir que la cloche ait poursuivi sa prometteuse carrière.
Ce furent de grands moments.
Le système ne pouvait prétendre à un usage plus étendu. Deux ans après, nous partons en Grèce avec le même brave Cap Nord et nos amis. Nous emmenons un compresseur et des bouteilles mono pour plonger sans pallier jusqu’à un maximum de 20 mètres, pour éviter tout risque. Loin de tout, sans téléphone à l’époque, le moindre pépin eut été fatal.