Inde Comment Opérer

Inde Comment Opérer

Affaires internationales

14 décembre 1987

Cet article écrit pour le MOCI en 1987 n’est plus à jour du fait de l’ouverture mondiale des marchés et des évolutions des lois et règlements indiens. 35 ans après, il reste malgré tout valable sur bien des aspects liés aux comportements humains des exportateurs face à un peuple et une administration qui ne changent que très lentement sur bien des plans.

GESTION ET PRATIQUE EXPORT – MOCI N o 794/14 DECEMBRE 1987

INDE
COMMENT OPÉRER

L’Inde des affaires ne provoque pas chez les Français le même enthousiasme que l’Inde touristique et culturelle, et ce sujet déclenche fréquemment dans les milieux professionnels une énumération plus ou moins détaillée des clichés d’usage : tout est infiniment long, on n’obtient jamais de décision… Qu’en est-il ? Comment opérer en Inde ?

LES ECUEILS DES ANALYSES TROP SIMPLISTES OU INSUFFISANTES

Comme ailleurs, la réussite sur le marché indien passe par l’assimilation de toutes les contraintes techniques juridiques, commerciales et fiscales Plus qu’ailleurs, les règles sont claires, mais le jeu trop complexe pour pouvoir appliquer des recettes standardisées. Des entreprises françaises ont réalisé de belles opérations, mais leurs expériences, bonnes ou mauvaises, semblent ne pas profiter à tous, car régulièrement les mêmes erreurs se reproduisent.

  • Analyse insuffisante des règles juridiques, fiscales et administratives : les formules juridiques adaptées aux besoins des sociétés étrangères sont peu nombreuses et ces questions doivent être analysées au plus tôt car elles conditionnent le mode de présentation et peuvent être déterminantes dans des comparaisons de prix, en particulier par le jeu de l’addition des parts étrangères et part locales, chacune étant assortie des prélèvements fiscaux applicables.
  • Mauvais choix des partenaires locaux . qu’il s’agisse de consultants, d’agents ou de partenaires industriels, ce choix est fondamental ; or, le choix d’un agent s’effectue encore souvent par simple échange de courrier sur la base des allégations d’un solliciteur indien ; c’est un point où trop d’entreprises font preuve de beaucoup de légèreté, voire de candeur . ces choix doivent s’appuyer sur des éléments objectifs et vérifiés, en sachant que l’Inde regorge d’entrepreneurs débordant de dynamisme qui, tous, ont des relations « haut placées » et qu’un partenaire ou un agent qui a été performant sur un contrat peut n’être d’aucun secours pour un projet d’une autre  nature.
  • Analyse trop simpliste des critères de décision indiens . l’Inde doit être regardée comme un marché placé soUs la haute surveillance d’une administration qui arbitre en permanence le délicat jeu d’équilibre entre le contrôle de la dette extérieure, le besoin en produits, technologies et financements étrangers, la protection des entreprises locales, le contrôle des prix et l’amélioration de la qualité des produits par le jeu de la concurrence ; tout projet doit passer au crible de ces arbitrages. La signature d’un contrat public indien résulte ainsi de la convergence d’avis favorables à des échelons divers et dans des structures diverses, chaque individu et chaque structure cherchant la satisfaction optimale de ses besoins dans la décision prise.
  • Approfondir sa connaissance de l’Inde, génère en tout domaine plus de questions nouvelles que de réponses : l’Inde est profondément ancrée dans son passé, tout en préparant activement son entrée dans le XXIème siècle. Les tensions enttre conservatisme et progrès sont omniprésentes et empêchent toute explication simple du fonctionnement du système social et économique. Certaines évolutions sont extrèmement rapides et peuvent même passer par des sauts technologiques étonnants. Essayons, malgré tout, de tirer les leçons d’expériences récentes pour dresser une liste de conseils à l’usage de tous :
  1. Oublier le marché indien si l’on n’est pas disposé à y consacrer le temps et les moyens suffisants : la réponse à un appel d’offres dans la précipitation sans étude préalable sérieuse du terrain a toutes chances de conduire à l’échec ou à un contrat à hauts risques.
  2. Aborder le pays par étapes (analyse de marché, définition d’une stratégie et d’une structure de travail, recherche de partenaires…) dans l’ordre logique et en réservant un temps suffisant à chaque étape : il est exceptionnel de pouvoir limiter l’analyse du marché à une simple collecte d’éléments objectifs (statistiques, « guidelines » officiels, concurrence). Il faudra le plus souvent tester le marché par des entretiens, des présentations et même des actions commerciales complètes (réponse à des appels d’offres) avant d’en connaître la physionomie réelle.
  3. Se méfier des premières impressions, des modèles d’évaluation applicables ailleurs et des analyses périmées : l’Inde est un système semi-fermé vis-à-vis de l’extérieur, les évolutions économiques et réglementaires peuvent être brutales (un changement de taux de droits de douane peut remettre en question les bases de tout un secteur comme, récemment, l’industrie automobile, avec la hausse sur les composants pour véhicules à consommation de carburant élevée), la population est hétérogène (considérer qu’il y a environ 60 millions de consommateurs potentiels), l’économie parallèle n’est souvent pas à négliger.

CHOISIR DANS SON PERSONNEL DES RESPONSABLES MOTIVES

Un point important, il convient: de s’entourer de conseils : demander par exemple l’avis des banques françaises et du Poste d’Expansion Economique avant de choisir un consultant, redemander leur avis et l’assistance d’un consultant pour la recherche d’un partenaire industriel ou d’un agent. Faire appel à des conseillers juridiques et fiscaux sérieux.

En cherchant à obtenir des informations confirmées, il faut savoir qu’un Indien qui accommode la vérité à son avantage ne trompe pas son interlocuteur, il défend ses propres intérêts : il est donc impératif de ne pas prendre pour argent comptant ce qui est dit, donc toujours décrypter et vérifier les affirmations reçues.

Une disposition importante lors de relations avec ce pays : choisir dans son personnel des responsables enclins à une approche positive des particularités indiennes et qui soient suffisamment souples et patients pour accepter l’imprévisibilité permanente de l’enchaînement des événements en Inde, mais suffisamment fermes et entraînés pour ne pas se laisser dominer par l’habileté des négociateurs indiens. Faut-il rappeler que la maîtrise de la langue anglaise est impérative ?

Conséquence de ce choix : traiter avec attention les questions d’image et d’étiquette. Un individu ou une société sont rapidement catalogués en fonction de leurs titres et de leur comportement et il est difficile de modifier plus tard le jugement de départ. Le rôle de chacun doit être cohérent avec sa fonction : un président représente sa société à haut niveau et ne devrait pas apparaître dans des circonstances ordinaires. Une carte de visite doit indiquer clairement la fonction attribuée à la personne et ne pas se limiter à la mention ingénieur ou au grade dans l’entreprise,

LES PRECAUTIONS LORS DE LA NEGOCIATION COMMERCIALE

Lors d’une négociation, il est indispensable d’avoir des atouts additionnels en examinant et proposant des accords de collaboration supplémentaires tels que transferts de technologie, compensation, projets communs sur marchés tiers ; au moment d’utiliser ces atouts il faudra se souvenir que les motivations du gouvernement indien et des entreprises indiennes ne sont pas nécessairement homogènes : les entreprises préfèrent souvent vendre leurs produits sur le marché national protégé et rémunérateur, plutôt que d’investir pour les rendre concurrentiels et affronter les marchés extérieurs, elles préfèreront acheter des technologies pour ouvrir de nouvelles branches d’activité plutôt que d’investir en recherche et développement sur leurs activités existantes. Le gouvernement indien est donc contraint de manier en permanence la carotte (incitations fiscales, allocations de devises) et le bâton (obligation de R et D, compensation, modification des droits de douane) pour contrôler l’économie.

En phase de négociation d’un projet, il est nécessaire de garder, avec l’aide de ses partenaires ou agents, un contact étroit et suivi avec tous les niveaux et structures d’analyse et de décision concernés, chez le client et dans l’administration, pour pouvoir réagir, expliquer, modifier éventuellement son projet et le rendre acceptable à tous. Prendre les initiatives que les interlocuteurs publics indiens n’ont pas la liberté de prendre.

Autre précaution indispensable, confirmer ou faire confirmer par écrit et avec précision tout ce qui est de quelque importance. Se méfier des phrases ambiguës, mais ne pas hésiter à s’en servir pour se sortir d’une impasse comme le font si bien les Indiens. Considérer que toute lacune dans un contrat sera le plus souvent comblée à l’avantage du client ou du partenaire indien. Les Indiens ont tendance à gommer de leurs correspondances les difficultés et conflits et ceux-ci pourront ne se révéler qu’à l’approche du point de rupture ; la présence régulière en Inde permet de détecter et corriger à temps les dérives et contribue à motiver les partenaires et clients toujours sensibles à la visite d’un étranger ; en plus des visites, le contact téléphonique régulier peut permettre également de se dire ce que des raisons diverses peuvent empêcher d’écrire.

Si l’opportunité se présente et si les conditions sont valables, il peut être intéressant de prendre une participation financière chez le licencié indien car c’est la meilleure manière de s’assurer une présence indéfinie sur le marché indien en accroissant ses possibilités de rémunération et en gardant un contrôle direct sur les transferts de technologie effectués. Entre 1980 et 1985, seules 1 à 6 entreprises françaises par an (parmi les 20 à 40 accords de collaboration annuels signés) ont franchi le pas. Les autorités indiennes encouragent ces opérations qui garantissent mieux la qualité et la pérennité des collaborations engagées.

PREVOIR UNE REEXPORTATION SUR MARCHES TIERS

L’Inde des affaires serait-elle donc une jungle où nos entreprises ont toutes chances de perdre leur santé ? Ce sera probablement l’échec pour celles qui voudraient pénétrer sur ce marché sans faire l’effort de le comprendre et de s’adapter. Par contre, le marché indien est ouvert à celles qui, n’arrivant pas trop tard, prennent le temps de l’analyser et d’en intégrer les contraintes dans leur stratégie d’action , il appartiendra à perpétuité à celles qui acceptent de devenir indiennes en participant au capital d’une entreprise nouvelle ou existante : le système indien permet, en effet, à une société étrangère de contrôler (même minoritairement) une société locale, d’opérer librement, sur un marché protégé contre les importations et de rapatrier sa part. de dividendes.

L’Inde a d’immenses besoins en produits et technologies pour alimenter son propre marché ; l’Inde doit également être étudiée en tant que plateforme possible de production de produits finis ou semi-finis pour les marchés extérieurs ; il faut pour cela garder en mémoire quelques points essentiels :

  • salaires (toutes charges comprises) du personnel ouvrier de 400 F/mois pour un OS à 900 F/mois pour un technicien
  • nombreuses incitations gouvernementales pour l’exportation (exemptions fiscales et douanières, matières premières au prix international, taux de redevances pour la technologie plus élevés, plafonds de détention du capital pour les étrangers plus élevés, etc.) ;
  • existence de six zones franches ;
  • commerce avec les pays de l’Est s’effectuant en roupies tout en bénéficiant des incitations à l’exportation ;
  • le gouvernement indien est très sensible au contenu export de tout projet : il considère avec bienveillance tout dossier prévoyant une part d’exportation, il impose maintenant des compensations sur les projets importants.

L’année de l’Inde a démontré l’intérêt des Français pour la culture indienne, elle a fourni son lot de succès commerciaux (contrats aéronautiques, pipe-line HBJ, téléphone, pour citer les plus importants) et aussi d’échecs et d’attentes prolongées, L’Inde est un marché relativement difficile à conquérir parce que protégé, vaste et convoité, parce que les processus de décision du secteur public y sont de type collégial et parce que les affaires sc traitent face à d’excellents ingénieurs, juristes, administratifs, négociateurs et entrepreneurs ; néanmoins, toute entreprise cherchant à contrôler son marché à l’échelle mondiale devrait très sérieusement prendre en compte cette nation industrielle en développement régulier de 750 millions d’habitants.

Régis DUSSOSSOY

Société Meridial

Illustration ci-dessous de l’article en 1987

Pour exporter en Inde, il est indispensable d’avoir, au-delà du produit, des atouts additionnels, (licences, compensation, prise de participation).

La société Turbomeca a pour sa part vendu le turbomoteur TM 333 (photo), avec sa licence de fabrication, à la société indienne HAL qui en équipera le nouvel hélicoptère polyvalent ALH

Faire suivre cette page :
Retour Au Début