Affaires internationales
7 mai 2015
Cet article date de 2015 après vingt années de forte présence de Régis Dussossoy dans les pays du Golfe Persique. Ecrit pour une revue d’entreprise distribuée dans ses bureaux et chantiers du Golfe, il est écrit en termes diplomatiques et vise à montrer, à un visiteur étranger, touriste ou businessman, que ces pays sont très différents les uns des autres.
Les Bédouins sédentarisés du Golfe, un patchwork de populations.
A l’heure de « Je suis Charlie », permettons-nous une certaine liberté de verbe pour parler des habitants de ces pays musulmans. Ces quelques lignes pourront paraître caricaturales, elles ont pour seul but d’éviter des erreurs et clichés à travers le coup de loupe que me permettent 4 années à Bahreïn et de très nombreux séjours dans le Golfe (Persique) depuis 20 ans.
Vus de notre fenêtre, ces descendants de bédouins sont des riches, conduisant de superbes voitures, portant Ray-Ban et montres de grande marque ; leurs affaires se traitent par le bakchich (le mot vient de Perse) ; ce sont d’irréductibles machos qui habillent en noir, voilent et cloîtrent leurs épouses tout en se permettant la polygamie et plus ; ce sont tous des musulmans plus ou moins religieux et fanatiques. Comme ils sont riches, peu techniques et qu’ils n’aiment pas crever de chaud et salir leurs dishdasha blanc immaculé, ils boivent le thé et mangent des sucreries au frais pendant que les Indiens, Népalais et autres Philippins travaillent pour eux en plein cagnard pour trois sous. Cela c’est la caricature que l’on peut illustrer avec des photos bien typiques.
Changement d’équipe sur un chantier du Golfe
Voitures banales à Jebel Ali
La première erreur serait d’adhérer à cette description, la deuxième est de croire que ces pays et ces populations sont uniformes, même en limitant le tableau aux seuls pays du GCC (GCC= union des pays du « Gulf Cooperation Council » constituée des Emirats Arabes Unis, de Bahreïn, de l’Arabie Saoudite, le Qatar, le Koweït et Oman).
A titre d’exemple, au volant, il y a autant de différences entre un Saoudien, un Qatari ou un Bahreïnien qu’entre un Italien, un Allemand ou un Anglais.
Dubaï n’était qu’une modeste bourgade en 1950 alors que la civilisation Dilmun s’est développée à Bahreïn 3000 ans avant Jésus-Christ. Oman est également un vieux pays.
Ces 6 pays sont déjà différents dans les chiffres qui les caractérisent. Le tableau (statistiques de 2012) montre les différences en termes de taille, de population et de richesses :
PAYS | Population | % age nationaux | Surface du pays | Densité Population | PNB par tête |
habitants | % | Km2 | habitant / km2 | US$ | |
UAE | 8 264 000 | 11,5 | 71 024 | 116 | 46 442 |
Bahreïn | 1 195 000 | 49 | 767 | 1 558 | 25 407 |
KSA | 29 190 005 | 67 | 2 000 000 | 15 | 24 354 |
Oman | 3 623 000 | 57 | 309 500 | 12 | 21 560 |
Qatar | 1 832 000 | 14 | 11 607 | 158 | 104 971 |
Kuwait | 3 268 000 | 31 | 17 818 | 183 | 56 052 |
Ainsi, les Emirats et le Qatar assurent leur développement avec plus de 85% d’étrangers quand Oman et l’Arabie Saoudite n’en n’ont que 40%.
La densité de population de Bahreïn est 100 fois supérieure à celle d’Oman ou de l’Arabie Saoudite. L’Arabie Saoudite a 4 fois la taille de la France quand Bahreïn est plus petit que la ville de Paris tout en possédant encore quelques parties désertiques
Le PNB par tête d’habitant du Qatar est 2 fois celui du Koweït et des Emirats et 4 fois celui des 3 autres pays.
Les écarts sont également considérables en termes de ressources énergétiques : L’Arabie Saoudite peut contrôler le prix mondial du pétrole, la majorité du pétrole des Emirats est concentrée à Abu Dhabi avec la 5ème réserve mondiale, le Koweït a la 6ème réserve, le Qatar et ses 250 000 Qataris possèdent la 3ème réserve mondiale de gaz. A l’inverse, les ressources en gaz de Bahreïn s’amenuisent pendant qu’Oman entretient quelques espoirs de regain. Tout ceci se concrétise par des différences majeures entre ces pays dans leur économie, les structures sociales, les lois et les comportements.
Si l’on se limite à l’impact sur quelqu’un venant dans le Golfe, le tableau ressemble à ce qui suit:
A côté des riches et des classes moyennes, on trouve à Bahreïn, à Oman et en Arabie Saoudite de vrais pauvres vivant dans des logements mal équipés et roulant, s’ils en possèdent une, dans de vieilles guimbardes.
La polygamie disparait dans les nouvelles générations. La famille arabe reste très soudée et solidaire. Les droits des femmes sont très contrastés d’un pays à l’autre. On trouve de plus en plus de femmes à des hauts postes.
Si leur journée de travail, leur mode de raisonnement, leur façon d’être dans les affaires sont radicalement différents des nôtres, les règles des affaires sont carrées et propres dans nos domaines (NDLR : industriels) et dans bien d’autres ; Bakchich signifie « don », l’aumône étant une des obligations de l’Islam.
Si comme nous, les arabes ne quittent plus leur smart phone, les discussions se font de préférence face à face, avec thé et sucreries, peu par écrit ou au téléphone.
L’Islam reste omniprésent avec ses mosquées, la prière et le Ramadan sans oublier le « Inch Allah » mille fois répété, la pratique religieuse est très forte même si certains prennent quelques libertés avec les règles. La tolérance aux autres religions est variable selon les pays.
On trouve d’excellents professionnels nationaux dans tous les métiers ; cela dit, tous ces pays ont un problème colossal de dépendance vis-à-vis de la main-d’œuvre étrangère à tous les niveaux, ils investissent massivement dans l’éducation mais sont très loin de former les jeunes diplômés en qualité et nombre suffisants pour remplacer graduellement les expatriés ; l’indolence et la vie trop facile de beaucoup de jeunes ne facilite pas cette évolution.
Pays par pays, le portrait ressemble grossièrement à ce qui suit ; j’omets le Koweït que je ne connais pas directement:
Ce sont 7 Emirats regroupés en 1971 en une Fédération lors de leur Indépendance: Abou Dhabi, Dubaï, Ajman, Sharjah, Fujaïrah, Ras el Khaïmah et Oumm al Qaïwaïn ; le siège est à Abou Dhabi .
L’économie des Emirats Arabes Unis est portée par Abu Dhabi la grande bourgeoise et son pétrole et par Dubaï et les visions et audaces stratégiques de son Emir qui s’est plutôt bien remis de la grave crise de 2008 : Sheikh Mohammed illustre au mieux la phrase « on n’a pas de pétrole mais on a des idées ». Dubaï vit du service sous toutes ses formes (transport aérien et maritime, finance, tourisme, galeries marchandes, trading, évènementiel non-stop).
Les Emiratis sont d’un abord courtois et professionnel. Leur pays (tout au moins pour Dubaï et Abu Dhabi) est si actif et leurs autoroutes urbaines si embouteillées qu’il reste peu de temps aux nationaux pour socialiser avec les visiteurs en dehors des évènements officiels.
Les lois sociales qui laissaient beaucoup de libertés aux employeurs ont beaucoup progressé et protègent maintenant les salariés qui, en principe, peuvent changer d’employeur et ont une garantie d’être payés ; les chantiers de construction s’arrêtent maintenant aux heures très chaudes.
Le pétrole a remplacé les perles dans les années 30 ; quelques grosses entreprises, dont Alba la plus ancienne aluminerie du Golfe, exploitent cette ressource énergie + gaz, elles tirent l’économie avec l’industrie de la Finance et le tourisme régional. L’économie du pays est politiquement très dépendante du gros voisin saoudien qui partage avec Bahreïn un gisement de pétrole saoudien qui alimente la plus ancienne raffinerie du Golfe (1936).
Les Bahreïniens sont très plaisants et ouverts aux autres, certainement du fait que leur pays a toujours accueilli les étrangers, que ce soit les occupants ou protecteurs (Les Grecs, les Perses, les Portugais, les Anglais,), les caravanes et les navires marchands , ou plus simplement les visiteurs dont nombre de Saoudiens et Koweitiens venant en voisins s’y détendre aujourd’hui.
Le système éducatif est ancien et de qualité. Les Bahreïniens travaillent dans tous les métiers y compris manuels : Alba emploie 87% de Bahreïniens. Les lois sociales sont évoluées et, sauf erreur, c’est le seul pays où il existe un système de pension obligatoire.
Même si l’on en parle peu dans les médias occidentaux, le Printemps arabe est toujours très actif et entretenu par les frustrations de la majorité chiite face au pouvoir sunnite.
Bien que seulement 45 kms de Golfe Persique peu profond séparent la presqu’ile du Qatar de Bahreïn, ces deux pays et leurs habitants sont fort différents.
Il y a à peine 15 ans, Doha était une grosse bourgade avec quelques hôtels. L’exploitation du gisement de gaz entre l’Iran et le Qatar a depuis fait exploser l’économie et les infrastructures. Tout est maintenant permis pour assoir grâce aux gazo-dollars le rayonnement tous azimuts de ce petit pays : pourparlers de paix, évènements sportifs mondiaux, musées, investissements à l’étranger. Doha rivalise avec Dubaï et Abu Dhabi pour assoir son image par des ensembles architecturaux grandioses et construit ses 250 kms de métro.
Les Qataris sont si peu nombreux que les nationaux ont tous droit à des salaires généreux dans des emplois confortables (de préférence dans des bureaux). Le revenu moyen 2012 d’une famille Qatari est de 15 000 Euros par mois ; on ne trouve pas de Qataris dans les emplois trop physiques.
Le Code du Travail interdit à un salarié de quitter le pays ou de changer d’emploi sans le feu vert de son sponsor (tout étranger résident dans ces pays est parrainé par un sponsor qui est un national et en principe son employeur ou son hôte). Sous la pression des occidentaux et des ONG utilisant le levier de la coupe du Monde de foot 2022, le Qatar doit annoncer sous peu un nouveau code du Travail.
Les Qataris voyagent maintenant beaucoup, ce qui les sort régulièrement de leur environnement culturel traditionnel. Malgré cela, le Qatar n’a pas encore tranché entre le dogme officiel gardien d’un Islam plutôt intégriste et la volonté de rayonnement et d’accueil vers les populations de toute la planète. La Coupe du Monde de foot obligera à trancher car comment imaginer les hordes de supporters privés de s’habiller en décontracté ou de boire et de s’amuser dans les lieux publics entre les matchs.
Oman est resté pauvre et arriéré avec un système éducatif inexistant jusqu’au renversement de son père en 1970 par l’actuel Sultan Qabus (NDLR : décédé en 2020 après 50 ans de règne) : il y avait alors 3 écoles et 50 kms de routes goudronnées pour ce pays de 1100 kms de long ; un tiers de la population mais seulement 10% des femmes savaient alors lire.
Oman n’est pas très riche en pétrole et gaz mais suffisamment pour avoir développé une certaine industrie lourde (raffinerie, pétrochimie, aluminerie).
Les Omanais sont extrêmement agréables et accueillants, ce qui est un atout pour le développement croissant du tourisme dans ce long pays étroit logé entre sa montagne et l’Océan Indien. Le développement s’appuie sur une population dont le niveau d’éducation progresse et qui accepte tous les métiers, y compris comme à Bahreïn les travaux physiques (Sohar Aluminium a le même pourcentage d’employés nationaux qu’Aluminium Bahrain).
Ses richesses naturelles (pétrole et minerais) sont considérables et lui permettent de soutenir un développement tous azimuts (37 milliards de $ de contrats en cours pour les trains et métros à mettre en service d’ici 2019).
Complexe industriel de Ma’aden (aluminerie- laminoir- raffinerie d’alumine – usine acide phosphorique et ammoniaque –centrale électrique et port) en construction en 2013 dans le désert saoudien au bord du Golfe Persique |
Le niveau de formation des saoudiens va du travailleur peu éduqué difficile à adapter aux nouveaux besoins du pays aux brillants cadres diplômés à l’étranger. La dépendance de la main d’œuvre étrangère de tous niveaux sera longue à résorber. Les Saoudiens attendent par exemple 2 millions de Sri-Lankais formés à leur besoins pour compléter les 1,2 millions déjà présents.
Le cadre règlementaire très rigide du pays ne se limite pas aux droits inférieurs des femmes, il impose de nombreuses règles basées sur la charia islamique. Toutes les sociétés internationales se doivent d’être présentes pour profiter de cet énorme marché. Cela impose d’accepter de nombreuses contraintes dans les affaires et dans la vie privée : droit applicable, complexité des visas, quotas de nationaux, femmes voilées et ne pouvant conduire voire travailler, alcool interdit.
A la différence du businessman type Parisien qui sature son agenda des semaines à l’avance, les Arabes du Golfe aiment conserver de la souplesse dans leurs emplois du temps. Rien ne sert de prendre des rendez-vous trop à l’avance, ils ont des chances d’être remis en cause. Cette souplesse permet en revanche des rendez-vous de dernière minute même à haut niveau.
Les bédouins commencent traditionnellement toute rencontre par les salutations et les échanges sur le troupeau, la famille et le reste avant de passer au thé puis aux affaires. Ce cérémonial demeure : ne pas aborder les sujets concrets avant qu’un minimum de convivialité ait été instauré.
Le contexte des affaires dans le Golfe réserve beaucoup de mauvaises surprises d’ordre plutôt administratif ou légal. Inutile d’incriminer le manque de parole ou de bonne volonté des individus, ils sont victimes de systèmes en mutation constante où subsistent toujours beaucoup de zones grises entre les textes et leurs applications concrètes.
Derrière les apparences de mondes très américanisés, multiculturels et ouverts, ces pays restent à des degrés divers très contrôlés ; mieux vaut ne pas jouer avec les lois et règlements : drogue, chèque sans provision, ébriété, chapardage, critique du pouvoir conduisent facilement à la case prison puis à l’expulsion.
Un dernier aspect : selon le sujet et le pays, les affaires se traitent avec un grand nombre de nationaux ou, au contraire avec des Européens, Nord-Américains, Indiens, Pakistanais, Philippins, Sud-Africains et d’autres encore. Sans eux, ces pays ne seraient pas où ils en sont.
Régis Dussossoy