Affaires internationales
24 novembre 1989
L’histoire est ancienne et vraie mais tout rapprochement avec les acteurs de l’époque serait pure spéculation.
A l’occasion de la visite d’un Premier Ministre indien, un protocole d’accord avait été signé entre les gouvernements : la France s’engageait à soutenir une série de projets à travers ses champions industriels d’un secteur. Dès le lendemain, la grande presse annonçait des montants astronomiques de contrats pour notre belle entreprise.
La grande entreprise avait été choisie pour sa proximité avec le gouvernement de l’époque. Elle était tenue de partager le gâteau avec sa consœur qui, manque de chance, penchait politiquement de l’autre côté alors qu’elle était la seule des deux à connaître le marché indien.
J’étais consultant spécialiste de l’Inde, mon partenaire indien qui était proche du Ministre indien en charge, me donna tous les éléments pour proposer nos services à l’industriel français, ce que je fis.
Commença alors une suite sans fin de discussions en France. L’équipe de l’industriel français était persuadée que le protocole signé au plus haut niveau politique lui assurait le contrat. Je me tuais à répéter qu’il ne pouvait y avoir de contrat sans une offre en bonne et due forme répondant à un cahier des charges pour un projet précis. Il s’agissait en plus d’équipements publics qui ne pouvaient que passer par des consultations et mises en concurrence conformes au code des marchés publics indiens.
Les mois passèrent. Chaque fois qu’un ministre d’un pays visitait l’autre, mes interlocuteurs m’annonçaient que, ça y était, le contrat allait être signé.
Et rien ne se passait.
Mon partenaire indien m’organisa une rencontre en privé à Delhi avec le Ministre qui me donna sa vision détaillée du sujet. Il était lui-même critiqué pour l’absence de progrès de ce projet et ne savait plus que faire.
Je fis part de la teneur de cet entretien à l’équipe française qui ne voulut toujours rien entendre et me sortit un des plus beaux arguments entendus dans ma longue carrière :
« Nous sommes un Enarque, un Polytechnicien, et moi je ne vous dis pas ce que je suis (il était HEC) et nous pensons tous les trois la même chose, donc, c’est vous qui avez tort ».
Colossale Suffisance !
Aucun contrat ne sortit de tout cela.
L’autre partenaire poursuivit de son côté ses projets en Inde, « business as usual », sans se préoccuper de la poule aux œufs d’or qui ne pondit jamais rien.