Pâques chez le pandit

Pâques chez le pandit

Carnets de voyage

3 avril 1983

Pâques chez le pandit :

Pandit selon Larousse : Titre honorifique donné dans l’Inde aux érudits, détenteurs du savoir traditionnel exprimé en sanskrit et dans les langues anciennes apparentées.

Il faut savoir que les Hindous se réfèrent à ces brahmanes pour ce qui est important dans la vie, à savoir la famille, le mariage, la santé, l’argent, etc. Il y a des jours favorables ou au contraire fâcheux pour recevoir quelqu’un, mener telle action..

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Deux amies indiennes de Delhi avaient décidé d’aller rendre visite à un pandit très réputé. L’une était peu convaincue par la force de son savoir, l’autre beaucoup plus réceptive.

Elles m’expliquent que ce pandit détient des écrits anciens très nombreux racontant la vie d’individus de toutes les époques. Il a des assistants qui recherchent pour lui en fonction des informations données par les visiteurs.

Elles comptaient s’y rendre seules sans témoin, je suis un très bon ami mais un étranger, elles me proposent de les accompagner, finalement heureuses de la protection d’un homme pour leur expédition.

Après une nuit de train sur des banquettes inconfortables, nous parvenons à la grille du pandit en bordure d’une grosse bourgade. Il est seul dans le jardin, l’une de mes amies se recommande de sa tante. La villa est moderne, c’est là où il reçoit alors qu’il habite avec sa famille une maison toute proche. Il nous propose gentiment d’utiliser la villa pour le week-end. Nous nous installons dans une grande chambre meublée de 3 lits et le rejoignons dehors où les visiteurs commencent à arriver.

Nous sommes le samedi de Pâques et le jardin se remplit rapidement de toutes sortes de visiteurs, seuls ou en famille, venant souvent de plusieurs centaines de kilomètres. Un général arrive avec son Ambassador de fonction, drapeau sur l’aile déployé.

Le pandit nous demande nos heures et lieux de naissance pour lancer les recherches sur nos vies par ses assistants. Il nous donne de quoi écrire sans nous interrompre des « ram, ram, ram » à l’infini. Chacun peut utiliser l’écriture qui lui convient.

Mes amies restent suffisamment proches de lui dans le jardin pour entendre ses consultations en hindi et me les racontent ensuite.

Un homme vient se plaindre car, après sa dernière visite, son frère s’est enrichi et pas lui. A la question du pandit sur les instructions reçues, il raconte qu’ils devaient mettre une coupelle d’eau sous leurs lits pour attirer des influences favorables, mais que, contrairement à son frère, son lit étant clos tout autour en dessous, il avait mis la coupelle sur le côté…ceci expliquant cela selon le pandit.

Un couple a un jeune fils qui, selon les auspices du pandit, va tomber gravement malade. Il leur faudra prendre un jeune chien qui attirera sur lui la maladie et relâcher alors le chien malade très loin de chez eux.

Un couple est là avec leur fille et leur fils, de jeunes enfants. Le pandit leur déroule leur vie telle qu’annoncée dans les livres : entre autres sujets, ils n’auront qu’un fils …protestation du couple qui dit que c’est bien leur fille qui est là. Le reste de l’après-midi la femme fait le tour du jardin la mine défaite, tenant sa fille par la main.

Le jardin finit par se vider. Un ami du pandit le rejoint et mes deux amies discutent une heure avec eux jusqu’à ce que l’une s’énerve en lui reprochant de vouloir lui imposer un mode de pensée qui ne lui fait aucune envie.

La nuit tombe, le pandit et son ami nous quittent, nous restons tous les trois seuls à la villa. Le quartier plutôt campagnard est désert, nous trouvons quand même un rickshaw qui nous emmène au centre nous restaurer, attelage incongru dans ce coin perdu avec, sur la banquette, un jeune européen encadré de deux charmantes indiennes. 

Mes amies m’expliquent alors les dessous de l’altercation : l’ami, un fonctionnaire local, est un tantrique de la mauvaise espèce. Nous devons être très prudents.

Tantrisme

Le tantra est une tradition indienne ésotérique qui vient de l’hindouisme et du bouddhisme. Les pratiquants du tantra le divisent en deux voies différentes : dakshinachara et vamachara, termes sanskrit traduits respectivement comme voie de la main droite et voie de la main gauche.

Le dakshinachara consiste en pratiques traditionnelles de l’hindouisme comme l’ascétisme et la méditation, alors que le vamachara inclut aussi pratiques rituelles, consommation de l’alcool ou d’autres toxiques, sacrifices d’animaux et consommation de viande.

Si [le moine bouddhique] (…) boit du vin, sacrifie des bêtes (ou même des humains), s’il a des relations sexuelles, le tout dans un cadre liturgique, il est à coup sûr un tantrique, donc un hérétique que beaucoup tiennent pour infréquentable (J. Varenne, Le Tantrisme, 1977, p. 122)

Retour à la villa où il nous faut chercher les vecteurs de possible magie noire à notre encontre. Nous trouvons en belle quantité les trois vecteurs qu’elles connaissent : feuilles mortes et aiguilles dans les tiroirs des tables de nuit entre chaque lit et dans l’armoire, plus des nœuds de ficelle dans les coins des matelas côté inférieur…

Je ne vous cache pas mon scepticisme face à ces évidences. J’exécute mon devoir à la demande de mes amies : il fait nuit, aucun témoin dans ce quartier isolé, je vais jeter le plus loin possible dans la nature le paquet rassemblant nos trouvailles.

La nuit se poursuit sans incident.

Quand nous sortons dans le jardin le lendemain, nous sommes le dimanche de Pâques, un certain nombre de visiteurs sont déjà là, tout le monde attend le pandit pour la consultation. Il ne vient pas de la matinée…

Sur le coup de midi, une femme extrêmement gentille qui se trouve être son épouse, vient nous inviter tous les trois à prendre chez elle le déjeuner pascal. Elle ne nous donne aucune explication sur l’absence de son mari.

Au contraire de la villa moderne, la maison est très traditionnelle en hauteur avec de petites pièces.
Le repas est « full veg », c’est-à-dire végétarien. Je pense alors avec nostalgie à mes frères et sœurs qui, dans quelques heures avec le décalage horaire, vont s’enfiler gigot et bon vin à la table de mes parents dans la campagne varoise.

Nous retournons à la villa où le pandit finit par arriver dans l’après-midi, l’air épuisé. Nous ne saurons jamais si l’élimination des vecteurs de maléfice placés dans la chambre ont torpillé une séance de magie noire à laquelle, lui-même, très certainement tantrique aussi, participait.

Il m’annonce qu’ils n’ont pas trouvé les papiers racontant ma vie et que l’heure de naissance que je lui ai donné en arrivant ne peut pas être correcte.

J’ignorais mon heure de naissance et, à l’époque, impossible de joindre mes parents au téléphone depuis l’Inde, j’avais demandé par télex à un collègue et ami qui les connaissait de les questionner. Ce qu’il avait fait mais, ce que j’ai su plus tard, il y avait eu une confusion entre 4h du matin et 4h de l’après-midi…

Le pandit nous propose de rester 24 heures de plus chez lui pour poursuivre les entretiens, nous le remercions et reprenons le train de nuit pour rentrer à Delhi.

Quelques semaines plus tard, mes amies envoient par télégramme au pandit ma vraie heure de naissance. Réponse peu de temps après : « nous avons trouvé les papiers de Monsieur Dussossoy et il peut revenir.». L’orthographe du nom est différente mais la phonétique est presque exacte, je ne lui avais pas donné mon nom…

 Je n’y suis jamais retourné.

Au cours de son entretien avec elle, le pandit avait annoncé à l’amie la plus réceptive une très grave prédiction. Elle se noya accidentellement dans un lac quelques années plus tard…

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